Le Marché des Chefs est une institution ixelloise. Ce commerce de bouche comme on dit chez les baby-boomers, créé par le regretté Jean Mailian est un petit Rungis à Bruxelles. Des chambres froides, où normalement le public ne peut rentrer, mais rien n’empêche d’y jeter un œil, avec une sélection de poissons, viandes, fruits et légumes, fromages, rien que du beau, quelques établis où on découpe et emballe. Il y a aussi une partie épicerie avec peu de références, mais des bonnes.
Jean n’est plus là mais Valérie et Tatiana ont repris le flambeau et leur passion n’a rien à envier à celle du paternel qui était une pointure en termes de dégustation et de sélection du meilleur.
Pendant des années, quand le caviar sauvage était devenu interdit et le caviar d’élevage balbutiait, Jean, qui s’appelait en fait Maïlov, pas Mailian, avait renoncé à ce mets.
Et pourtant, le caviar est dans l’ADN des Mailian-Maïlov ; la légende familiale veut que ce soit l’ancêtre Lazar Maïlov qui aurait mis au point au XIX° siècle le caviar tel qu’on le mange aujourd’hui, juste salé, alors qu’il était jusque là d’usage de le presser en une sorte de poutargue.
Puis, avec le développement du caviar d’élevage, Jean prit son bâton de pèlerin pour tenter de trouver sur le marché les produits qui lui rappelleraient la glorieuse époque du caviar sauvage.
Le principe de l’élevage est simple, sur le papier : on prend des esturgeonnes, on les élève en leur donnant à manger et quand c’est prêt, on ouvre la bête, on sale et on met en boîte. Sauf que ça reste très cher, vu que si avant on payait la rareté, maintenant on paie la durée d’élevage – 12 ans pour un osciètre – et surtout, une infinité de facteurs influence la qualité. Variété, profondeur des bassins, courant, nourriture, maturité des œufs.
C’est bien là le boulot que les sœurs Mailian ont à coeur de continuer. Sélectionner, sélectionner encore et encore, tout commander en boîtes de 1.8 kilos, regoûter les boîtes à la livraison (et remballer ce qui ne convient pas) le tout étant uniquement de la variété osciètre (l’élevage a, ces dernières années favorisé l’émergence de variétés à développement rapide, comme le baeri) et proposé en goût « russe » (caviar Maïlov, moins iodé, beurré, crémeux) et goût iranien (plus iodé, un peu fumé avec des parfums de fruits secs).
Ayant pu goûter les deux lors d’un événement avec plein de chefs qui avaient subtilement mis en relief les deux produits, j’ai particulièrement chaviré pour la version « Maïlov », bien mis en évidence par une « simple » salade de spaghetti (moitié caviar, moitié spaghetti du chef Luigi Ciciriello.
Le prix, un sujet qui fâche ? C’est beaucoup d’argent en valeur absolue, c’est clair, mais pour avoir goûté quelques caviars ces dernières années, les 190 euros demandés pour une boîte de 100 g semblent raisonnables, vu l’excellence du produit. On est dans le superflu, mais de ces superflus qui une fois de temps en temps donnent un goût légèrement salé et iodé à l’existence.