Difficile de parler de Gianfranco Vinci avec mes habits de chroniqueur. Je connais le bonhomme depuis plus de vingt ans, il a été mon fournisseur du temps que je faisais restaurant, on peut dire qu’on est amis, pas du genre Montaigne et La Boétie, mais des copains d’abord.
Même si je fréquente moins sa petite entreprise qu’auparavant, j’aime encore de temps en temps m’attarder dans sa boutique du coin de la rue de Mérode et de la rue du Danemark à Saint-Gilles, en no man’s zone niveau bobologie, son adresse étant plutôt un secret bien gardé dans la communauté foodies bruxelloise, hors des radars instagram habituels.
Les parents de Gianfranco sont arrivés en Belgique dans les années 50, de Sorradile, au cœur de la Sardaigne. Le père avait la fibre entrepreneuriale, très vite il quittera la mine pour se mettre à son compte et importer des produits sardes, installé au départ dans une boutique tout près de la gare du Midi. Il en profitera très vite pour distribuer ses produits également via les « circoli », associations de sardes en Belgique, afin que leurs membres ne manquent jamais ni de « bottarga » ni de « pecorino ».
Le jeune Gianfranco n’aura pas « facile » dans la boutique ; quand il se retrouvait seul derrière le comptoir il arrivait qu’un client dise je repasserai quand ton père sera là. Pas facile en effet, d’être à la hauteur des exigences de clients amoureux de leur terroir d’origine, dans un milieu où le savoir est associé à l’âge.
Ses parents disparaissent jeunes, et Gianfranco développe l’affaire. Très vite il devient un grossiste reconnu dans le petit monde des importateurs italiens et le chiffre d’affaire en « gros » dépassera rapidement celui de la boutique. Et pourtant, des dizaines d’années plus tard, la boutique est toujours là, et c’est toujours exclusivement lui qui s’y colle, à la découpe et à la trancheuse.
Donc, des spécialités sardes… Et la Sardaigne, c’est – entre autres – terre de brebis et de cochons. Les brebis; dont le lait sert à faire une gamme étendue de « pecorino », du plus doux au puissant Fiore Sardo di Gavoi, pour lequel j’ai une vraie passion ; piquant, très légèrement fumé, pas pour les palais trop délicats; et les cochons qui finissent en saucisse sèche pas si sèche, piquante ou pas, jambon sec et salé, « lardo » et « capocollo ».
Il y a aussi de l’huile, verte et intense, des vins parfois trop épicés, et la « bottarga », le caviar de la Méditerranée, à râper ou à couper en très fines tranches. On trouve chez Gianfranco, des pâtes typiques, les « maloreddus » ou « gnocchetti », de la « ricotta salata », de la grappa « filuferro » ou de la liqueur de myrte, sans que cet inventaire ne soit exhaustif.
Hors Sardaigne, Vinci importe depuis vingt ans les pâtes fraîches Cecchin, qui tiennent bien la route, les « burrata », « scamorza » et « mozzarella di bufala », devenues entretemps des « standards » de l’assortiment italien en Belgique, sans oublier les tomates pelées San Marzano DOP
Sitôt rentré de mon escapade cyclosaintgilloise, j’ai mis à bouillir une eau salée à 8 g/litre, j’ai préparé une sauce tomate avec les San Marzano (et de l’ail et du persil), j’ai plongé les maloreddus dans l’eau, les ai cuit très très « al dente » pour ensuite les finir dans la sauce bien huilée, bien aillée, et sur l’assiette dressée, j’ai fait tomber une pluie de « ricotta salata » et une goutte d’ »olio crudo ».
J’aurais pu aussi râper du Fiore Sardo di Gavoi, no stress, j’ai pris assez de « maloreddus » et de « San Marzano » pour rééditer l’exploit.