Non, le Père Noël n’est pas une ordure, juste un amateur invétéré de subtils spiritueux. La preuve par le conte, toute honte bue.
Bruxelles, 24 décembre au soir. A défaut de neige, il pleut. Les voitures s’encastrent, les moteurs fument, les gens trinquent. Le père Noël, pas encore. Coincé entre un tramway poussif et un SUV en double file (Connard !), l’homme en rouge a la haine en regardant son smartphone : Otaf.inc, la société qui l’ubérise l’emploie, vient d’imposer une pause à ses livreurs de cadeaux pour cause de saturation totale du trafic. Chômage technique, burn-out et bout du rouleau, c’est la guerre ! M. Noël serre ses petits poings, grince des dents et implose. Puis il largue son traîneau sur le bas-côté, prend la tangente et s’engouffre dans la première épicerie venue.
Est-ce le rhum avalé cul sec dans la boutique ou un début de grippe ? Au 520 avenue Louise (à deux jets de bouteille du bois de La Cambre), un établissement à peine visible lui fait de l’œil à travers une vitrine aux lueurs vertes. « Green Lab » annonce un tag sur la façade, « Gin » clame un autre graffiti. A la vue du mot magique, le cœur tachycarde et la volonté vacille : père Noël traverse de travers et en dehors des clous.
Fier embonpoint, barbe de hipster immaculée et total look rouge, voilà qui se marie bien avec la déco post-industrielle tendance steampunk du Green Lab, où la dominante reste cette entêtante lueur verte qui éclabousse tout du sol au plafond.
Il est 20 heures, Bruxelles s’éveille. L’alcôve en duplex est déjà pleine d’une clientèle hétéroclite : jeunes gens corporate à bottines pointues, femmes aux cheveux peroxydés ou noir corbeau, professeure reliée à son ordinateur par les oreille(tte)s. Mais Père Noël n’est pas là pour faire une revue de mode. Accroché au bar il révise la carte des cocktails, n’en croit pas ses lunettes embuées (émotion, choc thermique, on ne sait pas). « Un French 75* pour commencer ! » lance-t-il à un barman au regard doux et coopératif. Entre barbus, on se comprend. * gin, citron lime, sirop de sucre, champagne (trop peu), cerise à léger goût d’amande (miam).
Un peu d’histoire. Ouvert en 2014, le Green Lab est réputé pour la qualité de ses Gins (près de 200 variétés, record belge enfoncé), ses bières (70), moult whiskies, tequilas et autres spiritueux. La gamme des absinthes (appelées autrefois ‘Fée verte’ en raison de leur couleur et de leurs effets secondaires hallucinogènes), est également respectable (20). Au fil du temps se sont ajoutés des Lundis Martini. L’embarras du choix devrait vous faire passer un bon moment.
« Vous avez raté une super jam session, hier soir ! » insiste une R(o)usse filiforme entre deux « takatakata » de shaker sur un medley 80’s (Blondie, The Boomtown Rats, Grace Jones) mais Noël ne répond plus. Dans sa pupille absente se reflète l’absinthe, les fées vertes sur la carte caracolent dans sa tête. Les néons le repeignent d’une lueur émeraude et son doigt hésite (pas longtemps) entre la Verte de Fougerolles (servie à l’eau, 6 €) et la Verte Napoléon (idem 6 €) qui lui rappelle sa jeunesse. Voyant déjà double, il commande en plus deux shots de Hapsburgh Hardcore (comme son nom l’indique). Et là c’est le drame. La fée verte. Le grand bleu. Le trou noir.
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Après une divagation éthylique qui le mène à l’aube, l’homme en rouge retrouvera son chariot en fourrière, les rennes à la SPA et finira la journée en cellule de dégrisement. Moralité, ne faites pas comme le père Noël, soyez curieux mais raisonnables : pas plus d’un cocktail à la fois. Ou rentrez à pied.